Liberté. (PV Haru)

Le jour où Jive avait pu sentir le cuir du siège de sa moto, des filles étaient passées par là et lui avait sourient. Elles lui avaient alors demandé à qui appartenait cette bécane, et Jive avait tout simplement répondu que c’était la sienne. Cette réponse avait refroidi un peu l’enthousiasme croissant des jeunes filles qui, dans l’attente de celle-ci, s’étaient déjà imaginés les cheveux aux vents, à l’arrière du bijou mécanique, tenant le torse d’un jeune homme. Une rousse s’était avancée, un peu plus sympathique que les autres, en lui disant qu’elle aurait certaines facilités. Des facilités que Jive n’avait pas compris tout de suite, mais simplement lorsqu’elle avait fait le tour du quartier : des garçons étaient venus l’aborder, pour parler moto, bien entendu.

Depuis elle avait l’habitude, et même si elle était un peu vexée, ça ne l’atteignait plus beaucoup. C’était même pour ça que l’entourage de Jive était pratiquement uniquement masculin (mais ça ne la dérangeait pas plus que ça, ça aussi elle a l’habitude) : on appréciait ses aptitudes et sa conversation, bien qu’ils aient tous un peu avoué qu’elle était un peu blasante avec ses conseils donnés toutes les cinq minutes. Bref, tout cela pour dire que le mec qui venait de lui parler lui avait lancé la phrase typique que tous avaient déjà exclamé des centaines de fois à la lycéenne. Son visage lui rappelait quelque chose, étrangement, et elle se souvint que c’était lui qu’elle avait bousculé dans les couloirs, avant d’arriver ici. Elle était déjà descendue de la moto en dégageant la tirette qui allait soutenir un peu l’engin. Pour une fois que Jive n’avait pas les mains pleines d’huile, il serait bon de discuter un peu. « Elle est à toi ? ». Bah non voyons. Elle a les clés, elle fait ronronner le moteur… mais non, ce n’est pas la sienne. Mais restons dans le caractère du personnage ! Jive répondit d’une voix polie, un peu ragaillardie par le chewing-gum qu’elle avait dans la bouche. Talons désormais au sol, elle croisa les bras et s’appuya légèrement sur la moto.

« C’est la mienne, ouais. »

Elle savait que d’une certaine façon, les garçons – un peu tous pareils et dénués de toute originalité - qui n’en avaient pas se faisait toujours un brin charmeur pour l’essayer. Espérant que son interlocuteur n’allait pas la faire chier avec des mots doux et des compliments à la sauce Roméo et Juliette, Jive s’approcha un chouïa de lui et fixa la cigarette qu’il tenait entre ses doigts. Sa clé dépassait de sa poche arrière et son envie de fumer reprit le dessus. Ca faisait un peu deux semaines qu’elle n’avait pas tiré une seule taffe, car Keiji lui avait demandé d’arrêter de vider ses paquets (bien qu’en fait ce soit lui qui les liquide sans son aide…). Mais restons calme. La jeune fille se lança dans les présentations. Jive n’aime pas parler aux inconnus, tandis qu’elle levait la main au-dessus de ses yeux, histoire de se protéger du soleil et de mieux voir à quoi ressembler le gars. Hum. Pas mal. Ca change beaucup des gros durs aux vestes en cuirs qui viennent l’emmerder avec leurs soi-disant expériences des garages des rues…

« Et moi, c’est Jive, si ça t’intéresse bien sûr. Au fait, je te laisse l’approcher elle se retourna un peu pour jeter un œil à sa bécane si tu me files une clope ! »

Sa voix s’était faite un peu plus enthousiasme. Elle sentait bien que si la moto n’attirait pas plus le jeune homme que ça, il ne serait pas venue l’aborder. Jive avait bien compris le truc : les filles se prenaient bien trop la tête avec leur maquillage et leurs vêtements qui mettent soi-disant en valeur leur soi-disant corps de rêves. Achète une moto et tu deviendras plus importante qu’une clope pendant un petit moment, le temps que la moto ne les intéresse plus. C’est d’ailleurs ce que Jive allait tester. C’était toujours marrant de voir leurs réactions quand ils prennent vraiment conscience qu’un engin pareil appartient à une fille comme Jive. Jive qui, ne l’oublions pas, affichait un petit sourire.

Prenant avec hâte une cigarette du paquet qu’on lui tendait, Jive sortit son fidèle briquet gris métallisé, aussi lourd qu’un gros boulons, et alluma le bout qui devint incandescent à la première bouffée. Elle souffla la fumée sur le côté, installant son coude gauche sur une des poignées de la moto. Le cliquetis des clés avec lesquelles elle jouait à faire tourner autour de son index fut, pendant quelques secondes, le seul son qu’elle entendait clairement. Jive regardait attentivement chaque geste que le jeune homme faisait en direction de sa merveille. Elle faisait ça tout le temps. Au moindre geste suspect, elle commençait à gueuler comme une hystérique. Un jour, Jive avait failli tabasser un mec qui avait alors demandé à celle-ci si elle pouvait l’emmener dans son garage pour voir un peu mieux comment elle était montée. La moutarde lui avait montée au nez quand celui-ci lui avait arraché les clés pour s’amuser. Son père s’était énervé comme jamais, et pendant plus d’une semaine, Jive n’eut pas la permission de conduire sa moto.

- Pas mal, dit-il. On voit que c’est des pièces détachées mais celui qui te l’a monté c’est franchement bien débrouillé...

La vague de fierté qui la submergeait à chaque fois qu’on avouait clairement que son père était doué fut cette fois-ci un peu plus puissante. Mais ce fut cependant de courte durée quand elle vit son interlocuteur fumeur passer un doigt sur le pot d’échappement. Elle avait cru qu’il allait faire autre chose, et c’est ainsi qu’elle s’était rapidement mise en face de lui, accroupie, la clope au bec. Jive remarqua ce qu’il avait lui-même fait : c’était crasseux. Sauf que ça ne la dérangeait en aucuns cas. Ecartant ses cheveux, elle fixait le dénommé… Haru.

Haru, Haru… Haru Okura ! Le mec dont elle avait entendu parler il n’y avait pas très longtemps, de la bouche de bombes à retardement, qui planifiaient un petit truc pour ce dernier. Certainement un plan à trois, ou une fête bien arrosée… Un truc qui finirait par une partie de jambes en l’air que Jive déplorait pacifiquement. Bien qu’elle l’ait déjà fait (bourrée qui plus est), elle en avait appris de ses erreurs, pas comme ces filles assoiffées de torses musclés. Et puis on connaissait le camp Swan : les gars qui en faisaient souvent parti n’était pas des Saint. Les filles non plus. Non pas que Jive les dénigrés avec pour seules preuves des rumeurs, mais la majorité était ainsi. Et la majorité pour Jive, c’est comme aux élections. C’est celle qui l’emporte, malheureusement.

« Alors, Okura, ça te dirait de faire un tour dessus ? Je sais que t'en meurs d'envie. »

Jive montrait qu’elle connaissait sa réputation, aussi bien que l’alliage et le fonctionnement de sa bécane. lle baissait les armes directement ? D’habitude il fallait se mettre à genoux ou même lui donner du fric. Son père lui avait souvent remonté les bretelles à cause de ce genre d’argent de poche. Jive avait répondu que c’était mieux ça que de se prostituer. Forcément, Papa Fukuda il se l’est vite fermé… Cependant, elle avait senti que Haru ne se barrerait pas avec ou en prendrait simplement soin. Et puis, de toute manière, elle ne comptait pas le laissait y aller tout seul. Non mais où va le monde ? Elle irait avec lui, pardi.

« Bien entendu, je monterais derrière toi. C'est pas la fête non plus. »

Se relevant, elle enfourcha la bécane en se plaçant le plus possible vers le fond, en repliant aussi ses jambes, de façon à ne pas se brûler celles-ci (dénuées de pantalon) avec les parties métallisées qui prenaient le soleil depuis ce matin. Elle tira de nouveau une taffe, et attendit que Haru la rejoigne, lui tendant les clés avec sarcasme. Jive était pratiquement sûre qu’il allait conduire comme une mauviette.

Jive n’avait pas l’habitude d’être à l’arrière. Ou si, simplement quand son père était encore valide et qu’il l’emmenait plus petite faire un tour au bord de la plage, lorsqu’elle lui demandait d’accélérer, et qu’elle se faisait crier dessus (oui bah hein.)

Tandis qu’elle serrait la taille de Haru, elle laissa tomber sa cigarette à peine finie, l’air de s’ennuyer dès l’instant où il faisait ronronner le moteur avec délectation –certes, elle ne pouvait pas dire que ça ne lui plaisait pas-. Tous les mecs faisaient ça, et elle aussi d’ailleurs. Au démarrage, elle retint un petit grognement assez antipathique. Il était parti trop brutalement à son goût. Sur sa moto, il n’y avait qu’elle qui en avait le droit, de titiller les limites de ce fonctionnement mécanique. Aussi, à peine avait-ils quittés le parking que Jive regrettait sa proposition. Quelle idiote, vraiment. Inviter Haru Okura à enfourcher sa bécane et de rouler avec, même une blondasse aurait fait moins pire comme erreur. Cependant, l’amertume et la colère qu’elle avait contre elle-même furent vite effacées par un nouveau sentiment. Un sentiment de liberté que Jive ne ressentait que lorsqu’elle conduisait.

Sous la vitesse qui engendrait la force du vent, ses cheveux se détachèrent quelque peu et elle lâcha un instant la taille de Haru, qui maniait, il fallait l’avouer, avec beaucoup d’habileté son engin, pour arracher l’élastique qui les tenait. Tout ceci lui rappelait les après-midi quand des potes à elle avait décidés de l’emmener dans un coin tranquille, où vitesse rime avec liberté, et où elle s’était éclaté à rouler sur des places vides de toutes présences. Jive se souviendra toujours aussi combien elle s’était fait remonter les bretelles (de nouveau) par son paternel… Tout ceci pour dire que Jive se sentait étrangement légère. Jamais, à l’arrière d’une moto, elle n’avait connue exactement ce qu’elle vivait lorsqu’elle tenait le guidon. Pas à un seul moment, elle ne ressentit autre chose qu'une certaine admiration et de joie. Le dérapage de fin de cette merveilleuse balade laissa à Jive le temps de reprendre un peu son souffle avant que le moteur ne soit coupé. C'était impossible, il ne pouvait pas conduire décemment comme ça !

Elle ne lâcha pas automatiquement la taille de Haru, et pour cause, elle était à moitié pliée en deux, sa tête cognant un peu contre le dos du conducteur. Un grand rire franc et certes, peu mélodieux (comme tous les rires vous me direz) emplissaient l’espace. Au bord du fou rire total, elle finit par descendre à gauche de la moto en se tenant à l’épaule de Haru. Jive passa avec désinvolture sa main dans ses cheveux, les ramenant en arrière, s’éloignant quelque peu. Elle réussit à placer une phrase après s’être définitivement calmée, levant les mains vers sa tête, un air surpris et à la fois joyeux encré sur son visage

« Ok. Alors là j’suis forcée d’admettre que tu conduis bien. »

Elle s’en prenait un petit coup dans le ventre mais elle l’accueillait avec humour. Jive retint de nouveau un discret rire et se rapprocha pour prendre ses clés des mains de Haru. Elle était étonnée par sa prouesse. A croire qu’un mec comme lui n’était pas simplement bon à fumer, baiser et se bourrer la gueule. Jive se plaça devant Haru, s’appuyant sur le guidon. Une question lui trottait dans la tête. Elle avait vu que Haru s’y connaissait un peu, alors il était temps de lui demander comment il pouvait arriver à prendre des virages comme il les avait pris à l’instant, à faire ces foutus dérapages que Jive avait appris à exécuter aussi, mais après moult accidents et réparations.

« T’as appris à conduire comme ça où, au fait ? »

Certainement qu’un membre de sa famille lui avait appris, comme Jive avait profité du savoir de son père. Mais bizarrement, elle avait l’impression que ce n’était pas le cas pour Haru. Elle en était même à penser qu’il avait tout appris tout seul. Ce qui pour elle, allait la contrarier. Jive aimait être la première dans le domaine de la mécanique, en le montrant dans diverses situations, ou simplement lors de réunion avec son club. Oui, elle avait sa fierté, et elle n’en avait pas honte. En attente d’une réponse, elle se mordit la lèvre inférieure.

C’était étrange. Oui parce que Jive, elle avait toujours entendu des rumeurs sur quoi Haru Okura était froid et qu’il s’en foutait de tout. A l’évidence, à l’instant présent, il restait d’une agréable compagnie et un excellent interlocuteur. Et puis, on ne refusait pas la présence d’un charmant jeune homme qui s’y connaissait en mécanique. Il paraîtrait aussi que ce dernier ne souriait pratiquement pas. Pourtant Jive n’avait pas rêvé, la bouche de Okura s’était bien fendue. Après, si c’était sincère, la lycéenne l’ignorait.

Jive n’aimait pas les mystères, ainsi que les mensonges. C’est ce qu’elle détestait le plus au monde. La franchise devait toujours être mise en avant, avec elle. Et lorsqu’on la connaissait bien, il ne valait mieux ne pas lui cacher trop de choses très importantes. Non pas que Jive veuille être au courant de tout, elle préfère qu’on lui dise très clairement qu’on n’a pas envie de lui dire ça maintenant ou jamais, que de raconter des bobards. C’est ainsi. Jive est sûrement la personne la plus franche du lycée. Peut-être que, d’une certaine manière, on la rendue un peu allergique au verbe mentir. Son entourage le plus proche en savait quelque chose, et gare aux colères de la jeune fille, qui pouvait s’emporter dans des tornades de mauvaise humeur. Bref, voilà que Haru et elle avait un petit point commun : leurs pères possédaient une moto. Vous voyez, même dans des caractères totalement opposés on y retrouve des similitudes !

« Et toi, t’as appris comment ? »

Les mecs ne possédaient donc t-ils aucunes originalités ? Jive avait répondu à cette question des centaines de fois, bien que cela ne la dérange pas, elle avait le don de se lasser de choses qui seraient apparues bien trop souvent. A part bien entendu ses habituelles escapades en compagnie de sa meilleure amie, la moto. Il n’y avait peu de filles de cet établissement qui s’intéressait à ses constructions, sauf si ça pouvait les aider à réparer un baladeur. Jive répondit alors, un peu vague.

« Toute seule et avec l’aide de mon père, oh et avec un peu de celle de cette stupide école de conduite. »

Elle se rappelait toujours des cours ennuyeux qu’elle lui avait offerte sans ménagement, avec la compagnie d’idiots qui ne comprenaient pas un seul panneau, et qui avait, pour la plupart, une visibilité assez mauvaise et une débilité profonde encrée jusqu’à leur visage. Même les cours de chimie l’avait plus intéressé que leurs tests à la noix. Bien entendu, elle avait décrochée avec brio son attestation. Simplement, Jive en gardait toujours un très mauvais souvenir. Même Keiji s’y était essayé, et il avait très vite abandonné. La conduite ne le captivait pas plus que ça, du au fait que passer ses journées à chanter lui prenait un peu tout son temps. Mais Jive n’aimait pas vraiment parler d’elle. Fixant Haru, elle reprit la parole, sur un ton de parole désinvolte.

« J’pensais pas qu’un gars comme toi s’intéressait à ça. »

Elle n’exprima pas le fond de sa pensée, histoire de ne pas s’embrouiller dès le départ. Elle aurait voulu continuer en disant qu’un mec comme lui, fumant, draguant à tout va était intéressé par la mécanique et tout ces trucs salissants. En fait, Jive avait un peu pris Haru pour un gars qui n’allait pas faire quelque chose qui pourrait risquer de se décoiffer ou de perdre un petit peu d’hygiène. Les rumeurs et les bavardages étaient comme elle l’avait bien pensé : des phrases dites en l’air pour ruiner les autres et les avantager un peu trop. C’était pour ainsi dire, idiot et totalement pathétique. Si Jive avait été dans son état normal, elle lui aurait dit très franchement. Mais bizarrement, elle avait l’impression que lui aussi lui cacher quelque chose. Et si cela ne se révélait être faux, tant pis.